Il y a quelques semaines, je vous présentais une sélection anglophone des livres les plus prometteurs de la rentrée. Je récidive ici avec le pendant francophone, que j'ai tenté d’équilibrer également des deux côtés de l’Atlantique avec cinq livres québécois, et cinq livres de Français. Des romans forts et lyriques qui célèbrent la nature, des regards inusités et lucides sur la société actuelle, de la spéculation et de l’exploration. De quoi bien occuper les nuits fraîches d’automne.
QUÉBEC
Joseph Elfassi – Le Prix de la Chose
Elfassi, personnalité médiatique qu’on a entre autres lu au Voir et vu chez Vice, nous offre ici une première œuvre, un singulier roman spéculatif qui raconte l’histoire de Louis, un jeune homme hypersexuel, confronté à un mouvement féministe révolutionnaire qui fait en sorte que chaque acte sexuel avec une femme exige désormais une rémunération. Je ne m’en cache pas, mon niveau de curiosité envers ce livre est très élevé.
Alice Michaud-Lapointe – Villégiature
On nous annonce un « roman de monologues » de la part de cette jeune auteure déjà fort célébrée avec Titre de transport, un recueil de nouvelles aussi paru chez Héliotrope en 2014. Avec comme élément central un mystérieux hôtel, avec lequel tous les personnages ont un lien, l’auteure nous précise que « C'est un livre sur le déni de la parole en fait, sur comment des personnes sont capables de se dédouaner et déculpabiliser alors qu'ils posent des gestes graves, et voient ça au final comme un jeu. » Avec une ambiance à mi-chemin entre Clue et The Shining, ça sonne comme un incontournable!
Louis Hamelin – Autour d’Éva
Il fut un temps où la parution d’une nouvelle œuvre de Louis Hamelin était un événement littéraire majeur, et sa dernière offrande remonte à 2010 avec La Constellation du Lynx. C’est toutefois de façon un peu confidentielle qu’on a aperçu ce titre dans la liste de parutions de Boréal, et ça nous a remplis d’une joie indicible, car cet écrivain prodigieusement ermite ne nous donne pas souvent de ses nouvelles. Dans Autour d’Éva, il y a des échos de La Rage, car l’héroïne d’Hamelin, de retour dans sa ville natale d’Abitibi, est aux prises avec des développeurs véreux qui massacrent la nature pour le profit. Un thème très cher à l’auteur, qui laisse présager un récit à la fois haletant et naturaliste.
Éloïse Simoncelli-Bourque – Crachin
Thriller écologique situé à mi-chemin entre le Guatemala et le Centre-Sud, Crachin met en scène une journaliste d’enquête sur les traces d’un scandale minier. Une grande sensibilité pour la coopération internationale et l’histoire récente du Guatemala habitent cette jeune auteure dont voici la première œuvre, un roman aussi noir que lucide.
Simon Roy – Owen Hopkins, Esquire
Après l’inclassable Ma Vie Rouge Kubrick, Simon Roy nous revient en grande forme avec ce récit qui examine le concept de figure paternelle et la mythomanie. C’est l’histoire de Jarvis, un montréalais qui part brusquement pour l’Angleterre lorsqu’il apprend que son père absent, aussi menteur compulsif, se meurt. Avec une écriture fragmentée et habile, Roy mystifie le lecteur, qui doit tout comme son protagoniste tenter de départager la vérité des multiples fabulations.
FRANCE
Laurent Gaudé – Écoutez nos défaites
Le récipiendaire du Goncourt de 2004 revient avec un 9e roman très dense, après Danser les ombres l’an dernier, et son œuvre baigne encore une fois dans la tragédie. Présenté comme « un livre sur la défaite », c’est le destin halluciné d’un agent secret Français au bout du rouleau, Assem, qui cherche en Afghanistan un membre des commandos d’élite américains. Déracinement et pessimisme dans un tiers monde déchiré par de multiples conflits : je réponds présent.
Gaël Faye – Petit Pays
Il y a beaucoup de romanciers débutants dans notre sélection, et ça nous rassure sur l’avenir; du côté de Gaël Faye, il nous raconte dans Petit Pays une histoire d’enfance qui se déroule dans le climat très houleux de la guerre civile de 1993 au Burundi, qui a par la suite débordé chez les voisins rwandais. Une opposition-choc entre la tendresse et l’innocence de l’enfance et la brutalité de ce sanglant conflit.
Karine Tuil – L’Insouciance
Après l’excellent L’Invention de nos vies, paru en 2013 et lancé dans une traduction anglaise lors de la rentrée littéraire américaine l’an dernier, Tuil nous arrive avec un nouveau roman « sur l'épreuve et les pièges de l'assignation identitaire », mettant en vedette un lieutenant qui revient d’Afghanistan et qui a bien du mal à reprendre les rênes de sa vie en société.
Andreï Makine – L’Archipel d’une autre vie
Makine, un russe qui écrit prodigieusement bien dans la langue de Houellebecq et qui vient d’être admis à l’Académie Française, propose ici un roman très lyrique, en phase avec la nature dans laquelle il se déroule. Une chasse à l’homme dans une toundra russe en 1952, une proie évasive et mystérieuse, une histoire dans une histoire. Dépaysant, d’une façon absolument délicieuse.
Jean-Baptiste del Amo – Règne Animal
Déjà encensé par la critique comme étant l’œuvre jusqu’ici la plus maîtrisée de Del Amo, Règne Animal raconte cinq générations de sauvagerie psychologique, alors qu’une dynastie de fermiers tente de domestiquer sa ménagerie à des fins esclavagistes. Dominer la nature, un vieux rêve humain, qui s’avère de plus en plus condamné. Un constat aussi impitoyable que lyrique.
BONUS
Thomas King – La Femme tombée du ciel
Il s’agit ici d’une traduction française de The Back of the turtle, paru en 2014 et récipiendaire du Prix du Gouverneur Général, un livre maintenant accessible à un public francophone avide de la profonde sagesse de cet auteur emblématique des Premières Nations. Un livre qui continue dans une thématique de domination de la nature par les humains, et qui se déroule sur une réserve amérindienne parmi les survivants de diverses tragédies. Du baume au cœur.