Il y 15 ans, j’étudiais dans une école secondaire en région, à 8 heures de route de Montréal. Pour ressembler à nos rappeurs préférés, nous devions nous rendre à Québec ou à Montréal. C’était facile de s’habiller sans originalité. Nous débarquions aux boutiques Freedom ou Vibes et une panoplie de tracksuits en peau de pêche (velours) tapissaient les murs. Sans nous casser la tête, nous choisissions un ensemble haut/bas Johnny Blaze ou Enyce et le tour était joué. Ça allait automatiquement bien aller avec nos Timberland ou Air Force de couleur unie. À l'époque, le DIY était marginalisé et être en marge n’était pas glamour.
L’univers du streetwear a bien cheminé depuis. Des centaines et des centaines de brands ont vu le jour, certains ont fructifié et certains ont crevé dans l’œuf. Les compagnies hip-hop s’adaptent, les artistes passent désormais plus de temps dans les magasins que dans les studios. Les compagnies de skateboard s’adaptent, les nouveaux planchistes portent des Adidas Yeezy et followent plus de comptes d’Hypebae que de comptes Skatemag sur Instagram. Les grands designers s’adaptent, et les acheteurs habitués à la contrefaçon s’en réjouissent ; ils peuvent délaisser leur fausse sacoche Gucci pour un fanny pack Louis Vuitton X Supreme.
On en est donc à la course pour la noblesse par le biais de la dépense. Aimer flasher aux yeux des autres a toujours n'est pas un phénomène propre à notre époque, j’en conviens. Être beau (c'est-à-dire respecter le standard des stéréotypes occidentaux) est un jeu de séduction et de valorisation, qu'il s'agisse de séduire une autre personne en vue de recevoir de l’affection, de séduire un employeur lors d’un entretien d’embauche ou de séduire sa famille à l’occasion d’un souper.
Se valoriser auprès de ses amis parce qu'on a une édition plus limitée d’un t-shirt Box Logo qu'eux. Se valoriser auprès des gens qui ont moins un gros budget que d'autres à investir dans leurs vêtements.
J’ai parfois l’impression que les gens considèrent leur outfit comme une armure. On devient plus grand, plus massif, plus fort avec un hoodie à 250 $, des jeans pré-déchirés en manufacture et une coupe de cheveux rafraîchie chaque semaine. Un type comme on en retrouve vingt par coin de rue, quoi. On fait alors face ici à un noble sentiment d’appartenance. Malheureusement, ce n’est pas parce que tes vêtements t’ont couté cher que tu t’habilles bien.
Personnellement, j’aime bien le streetwear. Je porte encore des pièces vintage de Champion et Sergio Tacchini. Je suis des comptes Instagram de gens qui rockent uniquement du streetwear, et je les trouve super inspirants. Ils font des compositions très intéressantes avec des pièces street/sport de tous les prix, ils utilisent tantôt du ton sur ton, tantôt un mélange de couleurs à en rendre jaloux un arc-en-ciel. À noter qu’une personne qui ne porte que du designer ne s’habille pas nécessairement mieux. Tout est dans la composition et dans la recherche. Un bucket hat blanc Stussy, un chandail Comme des Garçons et une sacoche Supreme ne fait pas de toi un érudit de la mode, même si le blanc s’agence bien avec le bleu et le rouge.
On jase de guenilles, des morceaux de tissus. Par contre, les fervents amateurs de mode en font un business. Ils exposent leurs vêtements et accessoires comme des cartes d’affaire ou des médailles accrochées au cou. On s’en fou que ça soit beau, tant que les logos brillent. On s’en fou que mes pantalons à trois lignes Adidas n'aillent pas avec mes souliers Nike ; mes souliers m’ont couté 300 $, idiot !
Je me sécurise en me disant qu’il y a encore des personnes qui se vêtent avec un souci de l’esthétisme incroyable. Leur chemise a peut-être couté 5 $ dans une friperie, mais DAMN que ça se marie bien avec le reste du outfit ! Je me sécurise aussi en me disant qu’il y a des gens qui dépensent énormément d’argent en vêtements, mais dont l'originalité de leur style mérite que je les regarde des minutes durant, tellement la recherche effectuée se rapproche de l’art.
J’ai un gros coup de cœur pour les vêtements personnalisés : ils reflètent la personnalité d’une personne ainsi que ses intérêts. Il y a 15 ans, je ne me retrouvais plus dans les suits en peau de pêche du Freedom. J’ai donc pris mes ciseaux et mes Sharpie, et j’ai fait ce que j’avais à faire. La noblesse se trouve dans l’authenticité.