La trame est celle d’une troupe de théâtre qui « joue et rejoue, dans un continuum abêtissant et interminable, un spectacle […] dont l’action se déroule dans une steppe aride et impitoyable.» Les interprètes croulent sous le poids de l’industrie du divertissement, penauds d’avoir délesté leurs rêves et victimes de la dégénérescence de la culture. Rien de moins.
Le rendez-vous était fixé à midi dans les bureaux du théâtre de la rue des Pins. J’avais préparé quinze questions et m’attendais à en poser une dizaine ; rester sur place pas plus de trente minutes et revenir au bureau tranquillos.
J’ai fait la rencontre d’un homme humble, cultivé, sensible, sensé et franchement passionné. Il m'a rapidement fait part de son excitation face au projet.
«Ça va être quelque chose… Et c’est rare que je dise ça. Je suis complètement exalté depuis que je suis sur ce spectacle-là. Je suis comme dans un état second. Je regarde le talent de tout le monde qui travaille des heures, mais c’est fou! Ce qui est génial c'est qu'il n'y a pas vraiment de hiérarchie, on est tous sur le même pied d'égalité ; les concepteurs, les acteurs. En plus, c’est le genre de façon de travailler à l’européenne où t’as du temps, t’as accès à la salle des semaines d’avance… C’est unique! Je suis fier de ce spectacle-là. Vraiment.»
J’avais envie de travailler avec Angela Konrad (la metteuse en scène). J’avais vu son travail. Souvent, j’essayais de voir des spectacles qu’elle fait, mais c’était toujours complet. Quand elle m’a appelé pour jouer le rôle de Chris, le metteur en scène, j’étais très content.
Quand j’ai lu la pièce, ça m’est rentré dedans de façon viscérale – ce qui est rare. J’étais sur mon divan et j’ai été knocké une petite demi-heure après. Des fois, il peut y avoir des pièces qu’on aime bien, mais là c’était carrément une espèce de coup de foudre. Il y a des fois des pièces qui rencontrent un comédien au bon moment dans sa vie. C’est ce qui m’est arrivé. Quand t’arrives à cinquante ans, tu visualises aussi les choses différemment.
En plus, étant dans le milieu, c’est une réalité super proche de toi.
Tout à fait. Quand t’as un texte aussi profond et radical, c’est le fun de se mesurer à ça. En même temps, c’est une parole qu’on endosse – en tant qu’acteurs – qu’on défend, mais complètement. C’est encore plus incarné. Il y a des mots qui me font mal. C’est très dur, grotesque et drôle en même temps. C’est de l’humour noir – totalement mon genre.
Beaucoup de jeunes comédiens nous posent des questions : savais-tu que tu allais travailler là-dedans? Savais-tu que tu allais vivre de ça? Zéro. C’est de la pure insouciance, de la pure candeur de se lancer là-dedans. C’est un métier très vertigineux, il y a des périodes où on n’est pas demandé, où il n’y a rien pour nous. Il faut dealer avec le rejet. Ça prend du monde qui sont fait fort.
C’est une drôle de race être acteur. Ce n’est pas du tout un métier glamour comme le monde pense. C’est pas les Prix Gémeaux. C’est un métier qui a tout un lot d’insécurités et de vertiges.
Avec les deux rôles gais que j’ai faits en même temps à la télé (Les hauts et les bas de Sophie Paquin / Tout sur moi) et des rôles qui ne font pas «je suis gai». C’est juste : je suis un gars qui aime des gars. C’est sur que je devenais un incontournable. C'était une suite logique.
Gai écoute c'est vraiment une ligne 24h/24h pour les LGBTQ où il y a énormément d'appels. J'ai passé une soirée à en écouter et j’ai vu la nécessité d’une ligne comme ça. Des histoires incroyables comme ce père de famille gai dont le fils est homophone et qui voudrait lui parler, mais qui avait peur, en plus d'être loin en région.
Ce que j’aime, c’est le côté très intime de Gai Écoute dans le sens que c’est un acte de liberté, mais par la parole. Parfois, c’est l'étape juste avant d’aller voir un psy. Les gens peuvent parler à quelqu’un qui s’y connait et qui peut aider à trouver des endroits où les gens se regroupent pour pas que les gens s’isolent. C’est un besoin qui est là.
Des récents attentats aux É.-U. au Premier Ministre dans la parade de la Fierté…
C’est un travail à long terme et régulier parce que l’ignorance est toujours là. Et la peur. Il y a des gens très très militants. Moi, je ne fais qu'en parler, ou si je vais dans des quizz, je joue pour cette fondation là.
Te considères-tu peureux ou curieux face à la manière dont les nouvelles technologies façonnent l’art?
Ce que j’aime avec la multitude de plateformes – dont les webséries – c’est la rencontre avec une nouvelle génération de concepteurs, de réalisateur, d’auteurs, de maquilleurs, de directeurs photo… Je suis ouvert et j’aime rencontrer les gens. Je ne suis pas nostalgique du passé. Je me dis, il y a de la place pour tous les âges. C’est très créatif!
Pronography de The Cure est le disque le plus noir ever. C’est une auto qui s’en va sur l’autoroute et qui va foncer sur un mur de brique. Le drum est complètement massif. La guitare, la basse… Tout est comme no future. Je sais pas pourquoi, mais j’étais obsédé par cette toune et pour la photo officielle, il y devait y avoir une violence, minime, mais importante comme un genre de désespoir, un côté apocalyptique. Quand on a fait le photoshoot, on l’a mis loud, dans le piton – et pour moi, c’était ça le show.
À quoi les lecteurs de Ton Barbier peuvent s'attendre avec cette pièce et peuvent-ils s'y préparer?
Après les vingt-cinq premières minutes de notre échange, j'ai arrêté le dictaphone et nous avons placoté de l'envahissement des réseaux sociaux et comment ceux-ci dénaturent l'être et complexifient les rapports intergénérationnels et même de nos meilleurs moments théâtres que nous ayons vécus. Bref, une série de conversations qui s’enchaînent sans gêne exposant des opinions à la fois différentes et concordantes. J’ai finalement quitté le Quat’Sous une heure et demie plus tard, avec l’impression de sortir d’une des meilleures dates ever.
Une coproduction du Théâtre de Quat’Sous et de LA FABRIK.
Mise en scène : Angela Konrad / Texte : Roland Schimmelpfennig / Avec : Eric Bernier, Philippe Cousineau, Alain Fournier, Marie-Laurence Moreau, Gaétan Nadeau, Lise Roy.
On peut retrouver Éric Bernier dans :
Mme Lebrun, Super Écran
Lourd, Vrak TV
Lâcher prise à l’hiver 2017 sur ICI Radio-Canada Télé