L’histoire de Bonvilain, une approche écologique entre le streetwear et le high end
Alexandre TurcotteDepuis quelque temps, j'essaie d'en apprendre davantage sur certains acteurs d'ici. Je trouvais la marque Bonvilain très intéressante, mais sans connaître les artisans derrière le brand. J'avais bien parlé de leur collaboration avec Dead Obies, mais sans en connaître davantage. Alors j'ai décidé de leur envoyer un courriel et quelques heures plus tard Thomas Magny me répondait, m'invitant à venir le rencontrer dans son bureau du Mile-End au 5333 Casgrain.
Quelques jours après, j'arrive donc dans cet espace de travail que Thomas loue à DELYLA, une compagnie de production de textile. Il m'explique d'emblée qu'il est vraiment chanceux de travailler aux côtés de DELYLA. « Cela me permet d'avoir l'exclusivité sur certains tissus. Dès qu'un rouleau sort, j'ai le premier choix et ça me permet d'être plus créatif », me dit-il.
Comment cette association s'est faite?
« Par la recherche! On voulait arrêter d'utiliser des vêtements préconçus au Bangladesh et se concentrer sur la couture locale et l'achat du tissu fait au Québec. On a donc trouvé cette madame incroyable qui avait un local à nous louer. Ça fait maintenant un an et demi qu'on est ici. »
Il me montre son bureau. De grandes fenêtres, deux tables un peu surchargées, plusieurs bacs empilés à droite et des présentoirs de vêtements à gauche. Au beau milieu de la pièce, une belle chienne, une golden retriever, nous accueille. Je m'assois sur une chaise libre, une musique classique joue en background sur son ordinateur. Un gars qui travaille dans la mode du streetwear et qui écoute de la musique classique? « C'est quelque chose qui me relaxe et qui me permet de me concentrer. C'est sûr que j'aime le hip-hop et la musique électro, mais je suis aussi un gros fan de classique et de jazz », m'explique-t-il. Thomas m'offre un verre d'eau et l'entrevue commence.
Alors, c'est quoi ton background? Comment as-tu commencé la production de Bonvilain?
C'était d'abord un rêve d’enfant que j'avais avec mon cousin. Moi, j'ai étudié en relations internationales/sciences politiques. Je n’ai pas étudié en mode et je n'avais aucune connaissance du milieu au départ. Tout est parti sur un coin de rue. Mon cousin et moi on a décidé d’organiser un événement. On a imprimé 100 cotons ouatés, on a fait 100 crewneck et on a imprimé des casquettes et des tuques. On a loué un super beau loft avec un bar et il y a eu 300 personnes qui se sont déplacées. On a été sold out en moins de trois heures. À ce moment-là, on s'est dit qu'on devrait peut-être faire quelque chose de plus et qu'il y avait possiblement une demande pour ce type de produits. Depuis, ça n'a jamais arrêté. C'est un work and learn in progress.
Après cet événement, on fonctionnait par pop-up. Au début, on avait de la difficulté à jouer avec l'offre et la demande. On n'était pas habitués à gérer ce genre de demande et on n'avait pas nécessairement le capital financier pour produire une grande quantité. Il y a aussi beaucoup de risque à créer une collection. Tu mets 5000 $, tu fais un événement, mais tu ne sais pas si ça va être profitable. Heureusement pour nous, ça a toujours bien fonctionné
Ça a changé. Notre site web nous a amené une certaine stabilité. C'est carrément une autre stratégie. Il faut désormais constamment être sur les réseaux sociaux. Moi, je ne suis pas un instagrammeur ni un gars de Facebook. Ma spécialité et ma force, c'est le branding. Je sais comment peaufiner une image de marque, comment faire passer le message du brand à travers l'image, les écrits, les éditoriaux et les lookbooks. Le web, faut y être actif, faut que tu pousses tes ventes, faut que tu te fasses connaître et faut que tu pousses d'autres marchés. Ce n’est pas évident, mais c'est un beau défi. On a des tissus bio, une super qualité de vêtement et des coupes recherchées que tu ne vois pas sur un écran d'ordinateur.
Qui est derrière Bonvilain?
Au début, c'était mon cousin et moi, mais maintenant, nous avons dû nous séparer. J'ai désormais beaucoup plus de responsabilités. Mon cousin s'occupait de tout ce qui était design et du produit, moi je m'occupais de tout le reste, le marketing, l'administration et la production. Maintenant, c'est moi qui dois faire le design des nouvelles collections. J'ai un nouveau partenaire pour m'aider à l'administration et aux finances. Il n'est pas à temps plein, mais ça m'aide. Pour le moment, je suis assez bien dans mon bordel et j'arrive bien à gérer tout ça.
À qui s'adresse Bonvilain?
À la base, nous sommes une compagnie de streetwear. On imprimait des t-shirts au Bangladesh et on les vendait à 25 $. Maintenant, nous faisons de la couture avec des tissus de hautes qualités ce qui va rejoindre un autre marché évidemment. Bonvilain s’adresse aux gens qui premièrement se reconnaissent à travers notre nom, mais aussi pour ceux qui aime les silhouettes recherchées, le confort et la qualité dans leurs vêtements.
Les vêtements Bonvilain sont faits ici?
Exactement. Je prône une conception locale et je veux que chaque étape de la conception soit responsable. Je trouve qu'en ce moment, ce qui se passe avec la planète, les conséquences des changements climatiques, c'est une réalité problématique. C'est une cause qui me préoccupe depuis très longtemps. Je me suis donc dirigé vers le tissu bio. Il n'y a pas d'engrais chimique, pas de pesticides et il n'y a rien de nocif dans le tissu que j’utilise, tout est naturel.
Je me concentre sur les coupes et les tissus. J'ai fait deux mois de recherche et développement concernant les coupes. J'ai fait des essayages sur 4 types de personnes avec des morphologies et des formes différentes. Je mise désormais beaucoup plus sur la qualité et la coupe que sur les gros graphiques.
Cette préoccupation de la mode écologique et de la qualité bio, tu as ça en toi depuis longtemps?
Je suis parti en Afrique pendant un an. J’ai visité le Congo, le Kenya et la Tanzanie. La pollution et les conditions sanitaires que j'ai vue là-bas, ça m'a vraiment allumé. Surtout dans le milieu de la mode, c'est tellement superficiel, mais il y a beaucoup trop de choses qui se passent dans le monde pour ignorer cette réalité des changements climatiques. Si je peux apporter mon petit grain de sel, ce sera missions accomplie.
On revient donc à ce nouveau marché : du streetwear écologique et qui tend vers le high-fashion?
Tout à fait. Nous sommes dans une braquette de vêtements et de prix très spéciale. On se situe entre le streetwear et le «high end». La haute couture, c'est quelque chose que tu portes sur le runway, de 1000 $ à 15 000 $ la pièce. C'est très très dispendieux. Alors que le t-shirt est 25 $ pour le streetwear. Être dans le milieu, entre les deux, c'est un défi super intéressant parce que tu développes de nouveaux marchés et c'est très contemporain. Je dois aller chercher un peu de monde du streetwear et un peu de monde du «high end», mais ce n'est ni l'un ni l'autre, c’est un marché distinct.
Être à Montréal, tu vois plutôt ça comme une barrière ou un tremplin?
Les deux! Par exemple, tu prends une capitale de la mode comme Milan ou New York. Un petit brand comme le mien, tu en as des douzaines au kilomètre carré. Cependant, les rêves deviennent réalité dans ces villes-là. Tout est à portée de main. Les designers sont présents pour faire des collaborations, les couturières sont à chaque coin de rue, il y a des manufactures et des tissus en quantité. Mais percer dans ces villes-là n'est pas facile. Montréal, à l'inverse, n'est pas une capitale de la mode. Elle l'était cependant à une autre époque. Ici, c'est plus facile de se faire voir et de se démarquer, mais le marché n'est pas le même qu'à Milan ou à New York. De mon côté, je vois toujours le verre à moitié plein. C'est donc définitivement plus un tremplin qu'autre chose.
Lancement de la nouvelle collection
Jeudi 25 août de 17:00 à minuit.
Lesters Delli-City – 4112 Rue Saint-Dominique, Montréal