Je m’intéresse de près à l’univers de la photographie depuis de nombreuses années. Jamais je n’ai pris connaissance d’images aussi justes, aussi abouties, que lorsque j’observe les clichés du photographe montréalais Drowster.
Dans ce qu’il nous présente, il y a un travail franc, une technique, une précision, un art qui tient davantage de quelque chose d’inné que d’acquis. Son oeuvre, c’est un délicat équilibre entre l’inspiration, la patience, l’élégance et l’ambition.
J’ai eu la chance d’aller prendre une bière avec lui et d’échanger sur son art et sur la vie. Voici un condensé de ce qu’on s’est raconté. Je vous invite dans l’univers de Drowster.
LP : Je sais que c’est une immense question, mais comment tout ça a commencé?
D : Depuis un moment, avant d’acheter ma première caméra, je prenais des photos avec mon smartphone. Je m’intéressais déjà beaucoup à la lumière. Puis j’ai emprunté la caméra réflex de mon père. En fait, c’est avec elle que je suis parti pour la première fois en Asie. Là-bas, j’ai eu un accident. J’ai été hospitalisé pendant plusieurs jours et c’est là que j’ai constaté que chaque expérience, bonne ou mauvaise, pouvait nous apporter quelque chose de plus. J’ai vraiment appris à apprécier le moment présent. Et il y a plein de façons d’apprécier le moment présent ! Moi, je le fais à travers ma caméra, à travers la photo. C’est ma manière de le vivre.
LP : Et le retour d’Asie, ça s’est passé comment?
D : J’ai réalisé que je voulais vraiment continuer à faire de la photo. À l’automne 2014, je me suis procuré ma première caméra réflex numérique et c’est là que la photo a commencé à prendre une plus grande place dans ma vie.
LP : Depuis la dernière année, tu es de plus en plus connu sur la scène photo de Montréal, tu as fait ton expo Armature, et tu as aussi maintenant tellement de followers sur Instagram ! Comment tu trouves ça?
D : C’est génial, j’apprécie tellement que les gens s’intéressent à mon travail ! Mais je ne regarde pas le nombre de likes lorsque je post une photo. En fait, quand je viens de la mettre sur Instagram, oui, je regarde un peu le trend que ça prend, mais sinon, lorsque je mets une photo, c’est parce que je l’aime, c’est tout. Je lis tous les commentaires par contre.
LP : Il y a eu aussi une magnifique photo de ton amie, Camille… C’est un moment marquant pour toi, non? [photo en couverture du présent article]
D : Quand j’ai regardé cette image, je me suis dit : «wow, si je suis capable de créer cette photo, je suis capable de créer tellement plus !». Ça m’a encouragé pour la suite et c’est un peu à ce moment-là que j’ai su que j’allais faire de la photographie pour le reste de ma vie.
LP : En parlant de Camille (@camiloup), tu as fait plus récemment un deuxième voyage en Asie avec un autre de tes amis, Alessandro (@ateodori). Tes amis semblent être au coeur de ton univers personnel et photographique, je me trompe?
D : Si je prends une photo, c’est que ça me divertit. Je le fais pour moi d’abord. C’est grâce à mes amis et à ma famille qui m’encourage là-dedans que je fais de la photographie comme je le fais présentement. Leurs commentaires me touchent. C’est à mes amis que je carbure ! Ils m’ont donné confiance en moi. Les prendre en photo, c’est naturel dans ma démarche.
LP : Tu as eu dans les derniers mois un petit passage NSFW vraiment intéressant. Je suis ton travail attentivement et il me semble qu’il y a eu un début et une fin. C’est volontaire? Comment ça s’inscrit dans ta démarche artistique?
D : En fait oui, tu as bien remarqué… C’était volontaire, pour apprendre. Je voulais explorer une autre façon de travailler la lumière, les angles. Je me suis servi de cette phase où j’ai photographié ces femmes pour améliorer ma démarche pour faire des portraits humains, au fond. En plus, en regardant ces images, c’est fascinant, parce qu’on réalise que grâce à la photographie, on peut créer le désir en l’espace d’une seconde. C’est fou.
LP : Parlant de ça, est-ce que Drowster a des thèmes de prédilection en photo?
D : Mon but final, dans ma démarche et dans ma carrière, c’est de faire de la photo documentaire internationale. Bien comprendre l’environnement dans lequel on prend nos photos, c’est essentiel dans ce domaine. En ce moment, je travaille en fonction de mon objectif. Je suis des cours de photographie, entre autres avec Jacques Nadeau, un grand photojournaliste qui travaille au quotidien Le Devoir.
LP : Les portraits de gens dans la rue, qu’on a vue graduellement apparaître sur Tumblr et sur Facebook, c’est aussi dans cette démarche?
D : Oui. C’est un devoir dans le cadre de ce cours, en fait ! Les portraits de rue, c’est un passage nécessaire, une étape dans ma démarche artistique, dans mon travail. Mon but ultime, en photo documentaire, c’est de trouver le parfait équilibre entre les humains et leur environnement. Donc la photo de rue s’inscrit là-dedans. Je m’intéresse aux personnages de Montréal, à Saint-Henri entre autres, où j’ai fait de bons portraits. C’est tout un monde, Saint-Henri ! J’ai essayé sur Sainte-Catherine, même démarche, mais ça n’a pas fonctionné, je n’ai pas été capable. Il faut vraiment connecter avec son environnement. C’est essentiel.
LP : Qu’est-ce qui t’inspire dans la vie?
D : Je te dirais spontanément que ce qui me drive, ce qui me propulse, c’est la musique. C’est ma caféine ! Le matin, je me lève, je fais mon lit et je mets de la musique. Je vais l’arrêter à la toute fin de la journée seulement, quand je vais me coucher. Et la musique que j’écoute influence mes photos, indirectement. Ce qui m’inspire aussi, c’est Montréal. Je fais passer ma ville avant la photo, la musique avant la photo, mes amis et moi-même avant mon art.
LP : Comment ancres-tu la photographie dans ton quotidien? As-tu toujours ta caméra avec toi? As-tu des journées consacrées à la photo dans ta semaine? Bref, comment ça fonctionne dans la vie de Drowster?
D : C’est sûr que lorsqu’on est dans un mindset de projet, on installe le matériel, on sait ce qu’on veut en termes de lumière, d’angle, d’environnement, etc. Mais sinon, voici ce que je fais : les mardis et les jeudis, je marche tout l’après-midi jusqu’au coucher du soleil. Je n’ai pas ma caméra avec moi. Je marche longtemps, j’observe les détails, je découvre de nouveaux endroits à photographier à un autre moment. J’ai quand même mon smartphone sur moi, donc si je tombe sur quelque chose, je vais le prendre en photo. Mais je n’ai jamais ma caméra. Pour moi, la photographie mobile versus la photo avec un appareil, c’est deux choses complètement différentes. Et même si on marche comme je le fais, je crois qu’on ne peut jamais connaître notre ville à 100%. Aussi, chaque dimanche, je passe des heures sur Tumblr. Je suis à la recherche de belles images, d’inspiration. C’est comme aller au musée sans y aller je trouve.
LP : Si tu veux bien le partager avec les lecteurs, quel équipement tu utilises actuellement?
D : C’est cool que tu poses la question, parce qu’en fait, j’ai une exclusivité pour toi… J’utilisais un Nikon D3200 jusqu’à il y a un mois et demi environ, avec mes différents objectifs. Depuis ce temps, j’utilisais un appareil sans miroir, un Fuji XT1. Mais là, j’ai une nouvelle collaboration avec Leica ! J’utilise en ce moment un modèle T. C’est un super bel objet, comme s’il était taillé à même un cube d’aluminium. Il n’a pas de viseur, seulement un grand écran à l’arrière de l’appareil. Il est magnifique !
LP : Et pour terminer, c’est quoi les prochaines étapes pour Drowster?
D : Il y a bien sûr cette collabo avec Leica, et des collaborations qui étaient déjà en place avec Herschel, Bonvilain. Il y a eu aussi The North Face, une marque qu’on retrouve absolument partout, qui nous a supportés pendant mon plus récent voyage en Asie. Je continue aussi les cours de photo. Et là en août, je pars. Je pars pour un an. Pour commencer ma carrière de photo documentariste. Tout ça, ça s’inscrit dans mon projet que je nomme Conquête. C’est un projet personnel, où je veux explorer les textures, la lumière, aller à la rencontre de l’autre, essayer de changer les opinions…
LP : … Je prends tes paroles au vol. J’ai toujours pensé que le monde va peut-être mieux qu’on le croit, au fond. Qu’en penses-tu?
D : Je le pense aussi ! Avec la photo, je veux aller en Afghanistan, en Inde, en Israël… Je veux aller à l’encontre des images négatives qu’on nous projette dans les médias. Il y a du beau partout. Je veux redonner un certain sens à tout ça.
À 22h52, ça laissait 8 petites minutes à Drowster pour traverser la rue et aller travailler. J’ai terminé ma bière tranquillement, complétant mes notes au sujet de cette rencontre fascinante. Puis, je suis retourné chez moi à pied, un peu plus contemplatif de Montréal que je ne l’étais déjà, 52 minutes auparavant.
Allez regarder attentivement ce qu’il fait. Ses photos, elles ne sont pas comme les autres… Ce photographe, profondément humaniste, va un jour changer le monde grâce à son travail.
Sur le web : drowster.com
Sur Tumblr : drowster.tumblr.com
Sur Instagram : @drowster
Sur Facebook : facebook.com/drowster
Cambodge. Crédits : Drowster // drowster.com