À Montréal, il devient inutile de présenter le travail de John Londono. Photographe de talent, il est l'auteur de nombreuses photos à succès et lauréat de plusieurs prix. Il a d’ailleurs remporté un prix dans la catégorie « Media Packaging Photography – Single » cette année lors du concours international Applied Arts, mis en oeuvre par Applied Arts Mag et qui récompense les meilleurs photographes et illustrateurs de l’industrie.
C'est avec magnificence et précision qu'il présente sa nouvelle exposition au Centre Phi, s'intitulant Snapshot Session et représentant quinze clichés réalisés cette année dans le cadre du Festival M pour Montréal.
Comment votre aventure photographique a-t-elle commencé ?
À l'origine, j'ai étudié en littérature et en langues. J'ai commencé la photographie grâce au beau-père d'un de mes meilleurs amis, Serge Clément. Il s'agit d'un grand photographe québécois qui expose beaucoup à l'international et il est représenté par une galerie à Lyon (Le Réverbère). J'ai été longtemps entouré par ses images en allant chez mon ami, cela m'a permis de m'immiscer dans le monde photographique d'une façon poétique, car ses images étaient très oniriques. C'était inconscient chez moi à cette période.
J'ai ensuite suivi un cours de photographie au Cégep. Les professeurs m'avaient prêté une caméra et lorsque j'ai dû la rendre, c'est comme si on m'enlevait une partie de moi. Je me suis donc acheté ma première caméra.
Ensuite je suis parti en Estonie, avec l'organisme Jeunesse Canada Monde, qui réalise des échanges internationaux. Là-bas j'ai commencé mon apprentissage de la photographie. Je n'ai fait que cela pendant sept mois. À ce moment-là, l'Estonie venait de déclarer son indépendance à l'URSS. Mes images étaient d'autant plus intéressantes et j'ai eu de bons retours. Par la suite, j'ai réalisé une majeure à l'Université Concordia.
Crédit : John Londono
Comment cela s'est déroulé en sortant de l'université ?
En sortant de l'université en Beaux-arts, j'ai un peu craint d'être en compétition avec mes pairs, mes amis, afin de me battre pour avoir une résidence, une bourse, etc. J'ai toujours souhaité prendre un peu les choses en main. En sortant de l'université, j'étais endetté et je trouvais cela triste de me dire que personne ne pouvait m'aider. En fait, après avoir été étudiant, il faut que tu fasses tes preuves pendant deux ou trois ans avant de pouvoir appliquer aux subventions.
Je n'ai pas voulu travailler au marché Jean Talon à temps plein, par exemple, en espérant avoir encore de l'énergie pour la photo et faire des projets. Une chance, j'avais de bons contacts à Concordia, j'ai commencé à travailler pour eux et c'est là-bas que j'ai pu voler de mes propres ailes en faisant mon exploration numérique. Ensuite, j'ai été représenté par une agence de photographes pendant 7 ans et plus récemment, je me suis lancé dans une aventure entrepreneuriale avec l'agence Consulat.
Vous vous êtes tourné assez facilement vers le milieu musical, de quelle façon la musique vous influence-t-elle dans votre travail photographique ?
À l'origine, je n'avais qu'une seule passion, la photo. À la fin de mes études universitaires, la scène musicale commençait à connaitre une effervescence. Toute l'attention internationale était rivée sur Montréal grâce à des groupes comme Arcade Fire. C'est en faisant partie de cette vague-là, en tant que spectateur, et ensuite en tant que photographe attitré dans des magazines culturels que je me suis intéressé de plus en plus à la musique. On s'est choisi, d'un côté comme de l'autre.
Votre exposition est le résultat de cette rencontre, entre la musique et la photographie…
Oui, l'exposition au Centre Phi est le résultat de ma première expérience de musique internationale. En 2008, je suis partie en tournée avec un groupe montréalais qui œuvrait avec le groupe de rock The Horrors. Nous sommes partis en tournée européenne. Je réalisais tout : la photo, la vidéo… J'ai remarqué que peu importe où nous allions, les médias voulaient des images de The Horrors, car ils étaient réellement photogéniques.
Qu'est-ce qui vous a motivé à continuer de photographier des célébrités ?
En Europe, il n'y avait pas de malaise vis-à-vis des médias, une chose que j'avais pourtant ressentie au Québec. Les gens du métier étaient plus gênés de demander à de grandes vedettes, comme Charlotte Gainsbourg par exemple, de réaliser des photos shoots. En revenant à Montréal, j'ai donc poussé pour réaliser ce concept avec des magazines pour lesquels je travaillais. Le magazine Nightlife m'a donné une page pendant quelques années, j'avais un photo shoot avec un groupe qui passait, en collaboration avec l'éditeur musical. J'écrivais même un article sur ma rencontre avec l'artiste. Le groupe Justice faisait partie des premiers.
Le but étant aussi pour moi d'avoir un portfolio international, après avoir photographié des artistes québécois en faisant les covers du magazine Voir. Je pouvais donc montrer mon travail ailleurs.
Quelle est, la rencontre, la collaboration, qui vous a le plus marqué ?
L'histoire avec Oasis, cela a toujours été un des moments les plus intéressants à raconter. Le magazine français les Inrocks m'avait contacté, pour réaliser des photos pour un de leur magazine s'intitulant ''Volume'' et n'existant plus aujourd'hui. Ils se sont déplacés à Montréal expressément pour réaliser cette photo-là. Toute leur équipe était là, leurs gardes du corps, etc. Ils n'avaient seulement que 35 minutes. À l'époque déjà leur réputation les précédait : deux frères qui ne se parlaient pas, qui foutaient le bordel dans les chambres d'hôtel…. mais finalement cela a été un succès.
Chaque instant était une surprise, il s'agissait de 35 minutes très surréalistes. Je m'attendais à ce que Noel soit le plus mature des deux, que Liam soit plus dans la rébellion. J'avais tout prévu pour qu'ils se sentent à l'aise durant le photo shoot : thé, biscuits.. Tout était là. Finalement, quand ils sont arrivés, Liam est venu tout de suite me voir, très amicalement, hyper enjoué… C'est Noel qui ne réagissait pas, il ne m'écoutait pas, ne faisait rien de ce que je lui demandais. J'ai fait mes photos, je plaçais les gens autour de lui. Finalement, j'ai quand même réussi à avoir une photo des deux frères, face à face, ce qui est assez rare.
Au sujet de l'exposition en elle-même, comment avez-vous procédé ? Quelle scénographie avez-vous choisie ?
En voyant que je n'avais qu'un seul mur, j'ai voulu concentrer mon travail sur la qualité plutôt que sur la quantité. J'ai décidé de me concentrer sur les douze derniers mois. Au début, j'étais très ambitieux, je voulais mixer cela avec des portraits de gens que j'ai réalisés pendant la dernière année, pas forcément connus. C'est d'ailleurs peut-être la chose que j'aime le moins dans cette exposition, avoir l'impression qu'elle se concentre que sur la célébrité des personnes alors qu'en réalité ce qui m'intéresse chez eux c'est leur musique, leur manière d'être.
Dès que j'ai vu les formats, les 30×40, notamment ceux de Grimes ou de Samuel de Future Islands, cela m'a sorti du mode d'expression dans lequel j'étais depuis ma dernière exposition en 2007. Cette expo présentait des images que l'on consomme rapidement, qu'on regarde sur un téléphone, sur un écran. On trouve cela beau, on like et c'est terminé. Voir cette photo de Sam en grand format, c'était différent. Dans cette photo, tu vois ma réflexion dans son œil, les détails de sa peau. Cela est intimidant et en même temps très intime. Tu comprends alors pourquoi on essaie de créer une expérience physique avec la photographie.
Est ce que vous seriez tenté de réaliser d'autres expositions sur votre relation entre la photographie et la musique ?
Oui, l'idée aussi de cette exposition était une sorte de présentation, de montrer les formats. Cela pourrait être pertinent. J'ai beaucoup d'autres photographies, de Justice, Beck, Juliette Lewis. Derrière cette exposition, il y a aussi huit ans de travail.
Cette exposition m'a beaucoup appris. Faire de l'art et faire des expositions, c'est quelque chose que j'avais toujours associé à un moment laborieux de concentration, d'investissement de temps, d'argent et de recul. Cette exposition s'est faite assez facilement. Je me suis dit : « c'est aussi simple que cela de réaliser une exposition » ? Bien sûr, le sujet était simple aussi. Il ne s'agissait pas d'un travail sur un questionnement hyper important comme l'écologie ou l'industrialisation par exemple. Il s'agit d'un travail morphologique, sur l'idée de la célébrité et comment on désacralise cette célébrité en faisant une rencontre avec un artiste sans qu'elle soit forcément commerciale.
Il s'agit d'images fraîches aussi, car peu de personnes connaissent Mac De Marco, Sam de Future Islands… Les gens commencent à les connaitre et je trouve qu'il y a un beau dialogue qui se crée avec le spectateur, un dialogue qui est complètement différent de celui qui pourrait exister dans une exposition d'Andy Warhol devant une photo de Mick Jagger. Tout le monde est fasciné par Mick Jagger, qu'est ce qui fait que l'on soit fasciné par Mick Jagger, une star internationale et que l'on soit également fasciné par Conan Mockasin ? Cela va peut-être permettre que certaines personnes s'intéressent à sa musique et découvrir qui il est. Il deviendra peut-être une star comme Grimes.
Face aux réseaux sociaux, aux nouvelles technologies, quels sont pour vous les enjeux de la photographie en 2015 ?
Le titre même de photographe, en tant que tel, est un titre qui commence déjà à se démoder. Avant, un photographe c'était quelqu'un qui travaillait avec la lumière, à toutes les étapes, sur une certaine technique. Cette lecture directe du mot ''photographie'' soit ''écrire avec la lumière'' est plus proche de la photographie avant le numérique.
Avec la démocratisation du médium, ce que je vois c'est qu'il y a plusieurs types de photographie, plusieurs types de photographes. Certains vont utiliser le numérique pour capter des éléments, composer dans Photoshop, et avoir une photo qui ressemble davantage à de l'illustration ou du 3D. D'autres vont devenir des instagrameurs, par exemple. J'ai vu beaucoup de jeunes photographes qui seraient incapables de reproduire une maquette ou une image sur une maquette publicitaire, mais qui sont excellents pour capturer des moments. C'est un autre type de photographie qui se vaut autant aujourd'hui.
Ce qui change également avec les réseaux sociaux, c'est le fait de prendre en compte la popularité sur ces mêmes réseaux. Parfois, des clients choisissent des Instagrameurs ou des blogueurs pour bénéficier de leur visibilité. Des mannequins sont aussi choisis en fonction de ce critère.
En ce qui me concerne, je reste dans une lignée plus hybride, dans laquelle je peux faire un peu de tout. J'ai choisi ce métier afin de pouvoir faire de la mode un jour, de la photo d'architecture, des portraits et de la publicité.
L'exposition SNAPSHOT SESSIONS de John Londono a lieu du 21 novembre au 12 décembre au Centre Phi.