Du plus loin que je me souvienne j’ai toujours été différent, j’ai toujours été plus sensible et plus près de mes émotions que mes semblables masculins. Je n’aimais pas jouer au ballon prisonnier, je détestais les cours d'éducation physique pendant lesquels je devais compétionner avec mes camarades et où à la base je savais que je perdrais car je n’étais pas athlétique pour le moins du monde. La première fois que j’ai entendu le mot « tapette » je devais avoir 8 ans, deux garçons un peu plus vieux que moi m’avaient lancé ça comme ça… Je pensais qu’ils me donnaient un surnom cute. Je trouvais que ça sonnait bien, c’était comme clochette, brouette … alouette.
La réalité fut frappante lors de mon entrée au secondaire, alors qu'on ne partage plus sa vie juste avec les gens de son quartier. Non, là tout le monde y est et tout d’un coup mon petit village scolaire s’est transformé en métropole et l’éducation de la vie, comme disait si bien mon père, a débuté. Je n'avais rien demandé moi, je ne voulais pas plus d’attention que les autres. Je voulais lever ma main en classe pour poser des questions et en apprendre plus. Je voulais moi aussi parler aux filles que je trouvais « si » cool avec leurs vêtements Au Coton, me faire des chums de gars qui performaient bien en sports ou ceux qui avaient les moyennes de 95 %. Je me disais que d'être entouré de gens qui réussissaient, ça allait juste m’aider dans la vie.
Hey bien non, moi je n'avais pas le droit à ça parce que l’étiquette de « tapette » m’a été collée dessus dès le départ. Je comprenais de quoi il s’agissait, mais je ne saisissais pas comment ils le savaient mieux que moi ou même avant moi? Je n’avais pas encore eu mon éveil sexuel et je n'avais aucune idée encore à l’époque que la vie m’avait élu heureux gagnant d’être homosexuel. Le prix à payer pour ma liberté a été lourd au fil des heures, des jours et des années de mon parcours au secondaire. La bibliothèque a été mon refuge. Tout était devenu une raison pour me lancer des mots, me coincer ou me provoquer, mais malgré tout, j’ai été chanceux et je n’ai jamais subi d’assaut physique.
J’ai souvent pensé en finir, me demandant comment cesser de supporter cette douleur constante, celle d’avoir continuellement peur et celle de détester ma différence. J'avais un instant de répit dans mon quartier où je retrouvais mes amis qui étaient de mon bord : Desbiens, Tremblay et Girard. De forts grands gaillards qui m’aimaient pour qui j’étais. À cet âge-là, on ne parle pas d’amour, mais plus de gens avec qui tu partages des affinités. Je ne sais pas si c’est parce que j’avais un BMX jaune avec des roues pleines ou parce que j’étais le premier à avoir un Nintendo, mais ils se sont toujours portés à ma défense, prenant mon parti quand ils se rendaient compte que quelqu’un me cherchait du trouble. Pour ça, je les remercierai toute ma vie parce que sans eux, je n’aurais jamais eu de quoi à m’accrocher.
J'ai aussi eu un moment de répit au cégep et à l'université, où l'on côtoie des gens comme soi et où la libre pensée est maître. J’ai fait mes études en arts, je n’étais plus seul de mon genre. J’avais des complices, des amis à qui je pouvais dire les vraies choses et où leurs discours en éveillaient d’autres.
J’ai fait ma « grande sortie » à 19 ans. Avec une famille compréhensive et une mère qui m’a donné les plus belles paroles du monde et qui me disait « Je suis là! » Après cette période, le Bonheur… juste du Bonheur. J’ai grandi, je me suis assagi et j’ai compris. Et j’en suis FIER.
Quand tu es dans le feu de la vie de l’adolescence, que les sentiments sont 1000 fois plus forts, que tu n’as aucun contrôle sur toi, tu as l’impression que la fin du monde est proche. Tu penses que cette situation est permanente. Personne ne m'a jamais dit ça va passer, ça ne sera pas juste comme ça. On n'a pas l’idée de regarder à long terme et d’éloigner tout ça de nous. Et tu grandis avec tout ça derrière toi, en essayant d’être grand et fort, en essayant de garder ta dignité, parce que toute ta jeune vie tu ne t’es jamais fait dire que tu en avais une.
Un jour, je ne me souviens vraiment plus lequel, je me suis rendu compte que j’étais devenu quelqu’un. Quelqu’un de fort, avec des idées, une façon à lui de se rendre au bout des choses, mais surtout, j’avais développé une personnalité solide et même que certaines personnes me voyaient comme un leader. La fierté que j’ai ressentie, les épaules légères et tout d’un coup c’était clair. Je n’irai pas jusqu'à remercier mes détracteurs, mais grâce à eux je m’étais forgé, grâce à toutes les embûches que j’ai eues et que j’avais surmontées j’étais devenu un battant. Je n’avais jamais eu la force des poings, mais j’avais celle des mots.
J’avais envie de raconter un peu mon histoire pour démontrer deux points : celui que les gens qui croient que les simples mots « tapette », « fifi », « moumoune » sont sans conséquence, dites-vous que juste une fois, oui… mais qu'à répétition et par plusieurs personnes pendant une partie de sa vie c’est très lourd. Certaines personnes moins solides ou moins bien entourées peuvent s’écrouler sous le poids des insultes. Et que si on n'en parle pas ouvertement, si on ne démontre pas que c’est normal et que ça fait partie de la vie, on ne s'en sortira pas en tant que société ouverte où la différence fait sa beauté.
Je me souviens de tous les noms des personnes qui m’ont adopté comme souffre-douleur. Et je leur pardonne, car je suis un optimiste et que j’ose croire et espérer qu’ils sont rendus ailleurs dans leur perception de l’homosexualité. Parce qu'un jour eux aussi auront peut-être des enfants qui seront victimes d’intimidation et qu’ils seront de l’autre coté du miroir. Alors en ce 17 mai, ayez une pensée pour la tolérance envers votre prochain connu ou inconnu. Car c’est en donnant au suivant que le monde va devenir meilleur.