Entrevue avec Carl-Edwin Michel, fondateur de la plus grosse ligue de eSport au Canada
Jean-Francois DubéLe sport électronique, mieux connu sous le nom de «eSport» est en pleine effervescence partout dans le monde. J’ai profité du passage à Montréal de Carl-Edwin Michel, président et fondateur de Northern Arena, la plus grosse ligue eSport au Canada pour jaser de ce phénomène.
Salut Carl-Edwin, merci de m’accorder du temps. Premièrement, parle-moi un peu d’où vient ta passion pour les jeux vidéo et le eSport en particulier.
À l’origine, je suis un joueur, mais pas nécessairement un compétiteur. Dans le eSport, je suis avant tout un spectateur. J’ai commencé en regardant beaucoup de CS:GO, un peu de DOTA, mais ces derniers temps je suis devenu un grand mordu de Rocket League. J’ai toujours été un «gamer» et tripeux de techno. J’ai travaillé et travaille toujours en tant que média dans cet univers là; entre autres pour Radio-Canada et je fais aussi des capsules technos que vous pouvez voir avant les films dans les Cineplex. Bref, je fais beaucoup de choses, mais ça tourne toujours autour de la techno et des jeux vidéo. À un certain point, j’ai décidé d’engager mon propre monde, démarrer mon entreprise et faire mes propres productions. J’ai commencé à faire des productions télé pour Xbox, pour PlayStation et Nintendo pour leur lancement. Vu que j’étais mordu de «eSport», j’ai remarqué qu’il n’y avait rien ici, au Canada. Il ya plusieurs petites compétitions ici et là, des petits LAN, mais il n’y avait pas d’événements «Spectateurs».
J’en déduis alors que c’est là que tout a commencé pour Northern Arena?
Oui, exactement. Je me suis dit qu’on pourrait s’en aller vers ça. Je venais d’être engagé comme producteur aux Canadian Video Games Award et je me suis dit, on va s’impliquer, on va faire un test et on va voir ce que ça donne. On a organisé un premier événement test à l’ancien Maple Leaf Garden à Toronto qui été transformé un peu comme le forum Pepsi ici à Montréal. C’était une compétition de CS:GO et on n’avait pas eu tant de monde que ça, au total 300 personnes sur place. Par contre, on a eu plus de 500 000 personnes qui ont regardé en ligne et c’est à ce moment-là qu’on s’est dit qu’on tenait quelque chose. Par la suite, on a fait un événement au Convention Center de Toronto pendant le FanExpo. C’était aussi une compétition de CS:GO, mais cette fois-ci on a amené 16 équipes dont des gros noms comme Cloud9 et plus de 3 millions de personnes ont regardé l’événement en ligne. C’est vraiment venu nous confirmer qu’il y avait un intérêt sérieux pour ça. Au même moment, on s’est mis à discuter avec Bell qui a démontré beaucoup d’intérêt pour ce marché-là. Avec eux, on a organisé notre deuxième événement officiel, au Centre Bell cette fois-ci et ce fût un succès. Depuis, on organise régulièrement des événements et on a créé de beaux partenariats avec des développeurs de jeux comme CAPCOM et Activision.
Maintenant, à quoi doit-on s’attendre dans le futur pour Northern Arena?
On va pousser plus loin nos relations et partenariats avec les développeurs. La semaine prochaine, on va annoncer un très gros partenariat avec Ubisoft. On va créer une ligue canadienne d’envergure, mais je ne peux pas te donner plus de détails, c’est encore un secret.
On s’imagine que les partenariats avec les développeurs se font très naturellement, mais est-ce plus difficile de convaincre de gros joueurs comme Bell?
Oui effectivement, mon travail se résume souvent à faire beaucoup d’éducation auprès de ces gens-là. En partant, le monde des jeux vidéos est souvent vu comme un milieu d’adolescents nerds cachés dans leur sous-sol alors que ce ne vraiment pas juste ça. Donc, c’est d’essayer de changer cette perception en leur montrant que c’est des gens de tous âges et de n’importe quel milieu. Ce n’est pas rare de voir des gens dans la quarantaine jouer beaucoup et s’intéresser aux «eSports». C’est des gens comme tout le monde qui ont une vie normale, un travail, etc. Souvent ce qui arrive aussi, c’est que les gens à la tête de ces organisations-là sont d’une autre génération et ils peuvent difficilement comprendre que, non seulement beaucoup de gens jouent, mais de plus en plus de gens regardent d’autres joueurs jouer et sont même prêts à payer pour le faire. C’est toujours surprenant pour eux d’apprendre qu’il y a des jeunes qui gagnent leurs vies avec ça. Donc oui, beaucoup d’éducation à faire ce niveau-là. Avec Bell et plusieurs autres partenaires, la chance qu’on a eue c’est que les gens qui s’occupent du marketing et des commandites ont eux-mêmes des jeunes qui jouent à la maison et qui nous disent «Je veux impressionner mon fils (ou ma fille) , ouais ouais j’embarque». Ça aide, disons!
Selon toi, pourquoi le développement de ce marché est un peu plus lent au Canada comparativement à des marchés comme l’Asie ?
C’est une question de culture. En Asie par exemple, les jeux vidéos viennent en grande partie de là à l’origine, alors ça fait partie intégrante de leur culture. Pour te donner une idée, il y avait déjà des compétitions de StarCraft diffusé à la télé pendant les heures de grandes écoutes dans les années 90 ! L’Europe a ensuite suivi et maintenant le Canada est de plus en plus présent. Il y a beaucoup de passionnés ici qui veut embarquer dans ce phénomène. Le problème est surtout qu’il n’y a pas d’infrastructures pour ça et très peu de marketing fait autour de ces événements-là. Nous sommes plus ou moins les premiers à faire ça. De plus en plus de gens vont commencer à connaître nos événements qui reviennent chaque année et venir y assister.
Dans le sport traditionnel, le parcours à prendre est assez clair pour devenir un pro, mais c’est moins évident avec le «eSport». Ça inquiète souvent les parents de jeunes qui ont des ambitions là-dedans, car les étapes ne sont pas évidentes et il n’y a pas d’objectif précis. C’est ce qu’on va changer avec notre organisation.
Que dirais-tu à un jeune qui voudrait devenir un joueur professionnel et transformer son passe-temps en carrière?
C’est une question très difficile.On entend souvent parler de joueurs québécois comme Stephanie Harvey qui sont déménagés en Corée pour poursuivre leurs carrières et , soyons honnêtes, c’est actuellement le meilleur moyen de percer dans ce domaine-là. À partir de l’année prochaine, nous allons mettre en place des bases pour guider les futurs talents et leur donner des objectifs. Mais tant qu’il n’y a pas de structure comme ça, ça va être difficile. C’est exactement comme le sport traditionnel, il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Alors le meilleur moyen reste de travailler très fort et songer à s’expatrier vers un marché plus développé si tu veux gagner ta vie avec ça. L’avantage avec le «eSport», par contre, c’est qu’il y a beaucoup de choses qui se passent en ligne alors on a beaucoup de Canadiens qui jouent pour de grosses équipes internationales. Ils doivent par contre se déplacer pour des compétitions de plus grosse envergure.
Northern Arena fête sa première année, comment s’annonce 2018 pour vous ?
En 2018, l’objectif c’est d’avoir des compétitions tous les week-ends. Comme je disais, le fait d’être en ligne, ça aide. On va avoir un gros studio qui va nous permettre de faire des compétitions où les joueurs vont jouer de leur domicile, en ligne. On va faire une diffusion que les gens vont pouvoir regarder sur Twitch. On ne sera juste pas physiquement dans un endroit comme l’événement de cette fin de semaine. On va quand même s’assurer d’avoir au moins 2 ou 3 événements par années où les fans vont pouvoir se déplacer et regarder ça sur place.
Selon toi quel est le jeu idéal pour le «eSport» présentement ?
C’est une excellente question. Dans les jeux «mainstream» présentement, pour faire connaître le sport c’est Rocket League. La raison est que c’est facile à comprendre, c’est des voitures, tu dois faire rentrer le ballon dans un but. C’est très familier pour tout le monde. Aussi, on a souvent un problème quand vient le temps d’aller chercher des commanditaires. Ils sont intéressés, ils veulent embarquer et ils sont prêts à mettre beaucoup d’argent, mais souvent ils nous demandent quel jeu va être en compétition et quand on leur répond des jeux violents comme Call of Duty, ça pose souvent problème.
Pour terminer, que dirais-tu à quelqu’un qui n’est pas convaincu du potentiel du «eSport» et qui ne considérait pas ça comme du sport?
Je dirais littéralement que, oui, c’est un sport et ce sont de vrais athlètes. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas en train de plaquer quelqu’un que ça n’en est pas. Ça prend des habiletés motrices importantes, de la dextérité. Ça prend de la concentration et ça demande une bonne forme physique pour pouvoir rester «sharp» mentalement. Beaucoup de gens comparent l’aspect physique de l’«eSport» versus le sport, mais si tu regardes tous les autres éléments comme la discipline, le talent, le coaching et l’entrainement c’est exactement la même chose.
Le Northern Arena Experience 2017 se déroulera cette fin de semaine, au Théâtre Impérial de Montréal. Northern Arena y présentera deux tournois. Le Call of Duty Showdown et la finale de la Injustice 2 Elite league. De plus, des conférenciers de l'industrie seront invités afin de parler et de promouvoir la culture des sports électroniques au Canada. Plus d'info ici.